C’est l’histoire d’un homme, un
"simple" tourneur-fraiseur passionné par la menuiserie. Il avait son
atelier dans le fond du jardin, dans lequel il passait son temps
libre. Plus de vingt ans après, tout est resté en place. Tous ses outils
ils les avaient conçus lui-même, avec une intelligence conceptuelle. Il
mettait beaucoup de rigueur et de respect de la méthode, celle de faire
« bien » les choses car pour lui c’était une question de respect pour
autrui d’adopter les bons gestes, surtout quand on l’observait dans sa
tâche, un respect auquel il donnait une dimension affective, « sinon
c’est que c’était mal fait », disait-il, et que le « non respect de
cette méthode humaniste était une manière de se débarrasser des choses
et dont une manière de se débarrasser des gens », en bref de les
"objetiser". Car pour lui un objet n’était pas qu’une « chose », mais un
lien entre les êtres humains. Une petite fille, la fille de ce
tourneur-fraiseur et menuisier, dès qu’elle a eu l’âge de comprendre,
c'est-à-dire très tôt, les yeux emplis de curiosité à engloutir cet
enseignement si beau passait toutes ses après-midi à le regarder poncer,
raboter, construire des objets en bois, et c’est ainsi, en observant
cette méthode, qu’elle a appris le respect de son prochain. Il
s'agissait aussi d' honnêteté vis à soi-même et des autres, de ne pas
mentir, de ne pas tricher ou mystifier. Avec la même lucidité chimérique
, et la même intelligence conceptuelle, ce soucis du détail qui
cloche qui révèle un travail mal fait, et un perfectionnisme , elle
décousait de vieux vêtements anciens masculins pour les transformer en
tailleurs très chics par manque d’argent, et a ensuite dessiné tous les
plans de notre maison familiale. Elle est devenue professeurs de
sciences physiques, de chimie, de géologie et de biologie, avec ce même
soucis du respect de l’humain, de l’éthique, de la passion pour ses
cailloux et fossiles qui renfermaient et donnaient la plus belle
description de toute l’histoire de la création du monde. Elle
pratiquait les sciences comme un art de vivre et un idéal humaniste, et
mettait autant d’honneur à réparer des choses aussi complexes qu’un
moteur de voiture, que de pratiquer ce qu’elle appelait « les arts
ménagers », ou même l’art, tout court. Elevée
comme un homme car son
père, qui ne souhaitait qu’elle puisse un jour devenir une proie en
étant dépossédée du savoir masculin, peu soucieux des apparences et de
la bienséance, pas par féminisme (- ce courant n’était pas encore bien
né), mais parce que pour lui un être humain était un être humain et cela
suffisait. Cet homme c’était mon grand-père maternel, et cette femme
était ma mère. Hypersensible et empathe ( désolée pour ce mot à la mode
tellement utilisé qu’il en perd son sens), elle se réfugiait donc vers
la méthode, une rigueur inébranlable et ce respect qui y sont liés, ou
encore allait dans les carrières géologiques pour contempler l’histoire
et l’origine de la naissance du monde, voire plus loin que l’horizon et
les astres, peut-être pour éviter l’épuisement émotionnel des sens
multiples des joutes oratoires et parce le monde tel qu’il existe est
souvent dur à vivre. En résumé, loin de l’idée reçue que cette attitude
devant la vie est "cadenaçante", elle est au contraire libératrice pour
l’humanité, canalise l’émotionnel pour construire un idéal, elle mène à
dissoudre son égo, en mettant une profondeur des choses et des gens bien
au dessus d’aphorismes réducteurs et irrespectueux que l’on brandit
sans bien comprendre souvent de quoi il s’agit. Cet homme que j’ai connu
comme un vieux monsieur marqué, étaient mon grand-père et cette femme,
dont la conscience des choses et du monde surplombait celle de tous ceux
que j’ai pu rencontrer comme interlocuteurs depuis, était ma mère.
C’est curieux, mais à l’époque on envoyait les enfants se confesser et
elle m’a confié plusieurs fois son incompréhension devant ce qu’on lui
demandait, parce qu’au fond elle n’était qu’innocence, dans le sens où
elle n’avait pas assimilé ce qui peut être mauvais. Jusqu’à ses derniers
jours, elle est restée quelqu’un de profondément bon et que peut-être
que cet enseignement transmis de génération en génération à contribué à
cet état d’esprit. Naturellement, elle était ostracisée, la blouse
blanche, les bottes un peu boueuses et les collections de pierres, et
bien d'autres choses, quand elles ne sont pas destinées à la décoration
où aux bijoux ne font pas bonne figure...Certaines personnes
malveillantes ont même jusqu'à jeter odieusement ses barils de fossiles,
parce que " ça fait désordre" . Jalousie, car chacun, finalement sait
au fond de soi que tout ce qui brille n'est pas de l'or, et en ressent
une amertume quand on rencontre un Autre qui n'est pas comme soi, ni
dans le même consensus.
Voilà, on peut être tourneur-fraiseur,
menuisier, couturière, professeure de sciences avec le même regard, la
même lucidité, la même dimension affective et humaine au point que ces
disciplines transcendent le réel et deviennent des arts conceptuels.
Aujourd’hui, tous ces mots, émerveillement, sentiments, beauté du monde,
émotion , nostalgie, ont pris de nouveau termes mesurables, on parle de
mesure du « taux vibratoire », je ne sais si c’est une fin de l’humain
et surtout de son humilité quand à la dimension transgressive du
déchiffrage du réel … Pourtant, c’est cet idéal, décrit ci-dessus,
que je m’efforce de défendre, même si je n’y arrive pas à la cheville,
et que je défendrais jusqu’à mon dernier souffle, au nom de la
mémoire, de ces humains d’exception aujourd’hui en voie de disparition,
je ne sais s’ils existent encore ….
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