lundi 12 octobre 2020

Un petit atelier de menuisier

 
C’est l’histoire d’un homme, un "simple" tourneur-fraiseur passionné par la menuiserie. Il avait son atelier dans le fond du jardin, dans lequel il passait son temps libre. Plus de vingt ans après, tout est resté en place. Tous ses outils ils les avaient conçus lui-même, avec une intelligence conceptuelle. Il mettait beaucoup de rigueur et de respect de la méthode, celle de faire « bien » les choses car pour lui c’était une question de respect pour autrui d’adopter les bons gestes, surtout quand on l’observait dans sa tâche, un respect auquel il donnait une dimension affective, « sinon c’est que c’était mal fait », disait-il, et que le « non respect de cette méthode humaniste était une manière de se débarrasser des choses et dont une manière de se débarrasser des gens », en bref de les "objetiser". Car pour lui un objet n’était pas qu’une « chose », mais un lien entre les êtres humains. Une petite fille, la fille de ce tourneur-fraiseur et menuisier, dès qu’elle a eu l’âge de comprendre, c'est-à-dire très tôt, les yeux emplis de curiosité à engloutir cet enseignement si beau passait toutes ses après-midi à le regarder poncer, raboter, construire des objets en bois, et c’est ainsi, en observant cette méthode, qu’elle a appris le respect de son prochain. Il s'agissait aussi d' honnêteté vis à soi-même et des autres, de ne pas mentir, de ne pas tricher ou mystifier. Avec la même lucidité chimérique , et la même intelligence conceptuelle, ce soucis du détail qui cloche qui révèle un travail mal fait, et un perfectionnisme , elle décousait de vieux vêtements anciens masculins pour les transformer en tailleurs très chics par manque d’argent, et a ensuite dessiné tous les plans de notre maison familiale. Elle est devenue professeurs de sciences physiques, de chimie, de géologie et de biologie, avec ce même soucis du respect de l’humain, de l’éthique, de la passion pour ses cailloux et fossiles qui renfermaient et donnaient la plus belle description de toute l’histoire de la création du monde. Elle pratiquait les sciences comme un art de vivre et un idéal humaniste, et mettait autant d’honneur à réparer des choses aussi complexes qu’un moteur de voiture, que de pratiquer ce qu’elle appelait « les arts ménagers », ou même l’art, tout court. Elevée
comme un homme car son père, qui ne souhaitait qu’elle puisse un jour devenir une proie en étant dépossédée du savoir masculin, peu soucieux des apparences et de la bienséance, pas par féminisme (- ce courant n’était pas encore bien né), mais parce que pour lui un être humain était un être humain et cela suffisait. Cet homme c’était mon grand-père maternel, et cette femme était ma mère. Hypersensible et empathe ( désolée pour ce mot à la mode tellement utilisé qu’il en perd son sens), elle se réfugiait donc vers la méthode, une rigueur inébranlable et ce respect qui y sont liés, ou encore allait dans les carrières géologiques pour contempler l’histoire et l’origine de la naissance du monde, voire plus loin que l’horizon et les astres, peut-être pour éviter l’épuisement émotionnel des sens multiples des joutes oratoires et parce le monde tel qu’il existe est souvent dur à vivre. En résumé, loin de l’idée reçue que cette attitude devant la vie est "cadenaçante", elle est au contraire libératrice pour l’humanité, canalise l’émotionnel pour construire un idéal, elle mène à dissoudre son égo, en mettant une profondeur des choses et des gens bien au dessus d’aphorismes réducteurs et irrespectueux que l’on brandit sans bien comprendre souvent de quoi il s’agit. Cet homme que j’ai connu comme un vieux monsieur marqué, étaient mon grand-père et cette femme, dont la conscience des choses et du monde surplombait celle de tous ceux que j’ai pu rencontrer comme interlocuteurs depuis, était ma mère. C’est curieux, mais à l’époque on envoyait les enfants se confesser et elle m’a confié plusieurs fois son incompréhension devant ce qu’on lui demandait, parce qu’au fond elle n’était qu’innocence, dans le sens où elle n’avait pas assimilé ce qui peut être mauvais. Jusqu’à ses derniers jours, elle est restée quelqu’un de profondément bon et que peut-être que cet enseignement transmis de génération en génération à contribué à cet état d’esprit. Naturellement, elle était ostracisée, la blouse blanche, les bottes un peu boueuses et les collections de pierres, et bien d'autres choses, quand elles ne sont pas destinées à la décoration où aux bijoux ne font pas bonne figure...Certaines personnes malveillantes ont même jusqu'à jeter odieusement ses barils de fossiles, parce que " ça fait désordre" . Jalousie, car chacun, finalement sait au fond de soi que tout ce qui brille n'est pas de l'or, et en ressent une amertume quand on rencontre un Autre qui n'est pas comme soi, ni dans le même consensus.
Voilà, on peut être tourneur-fraiseur, menuisier, couturière, professeure de sciences avec le même regard, la même lucidité, la même dimension affective et humaine au point que ces disciplines transcendent le réel et deviennent des arts conceptuels. Aujourd’hui, tous ces mots, émerveillement, sentiments, beauté du monde, émotion , nostalgie, ont pris de nouveau termes mesurables, on parle de mesure du « taux vibratoire », je ne sais si c’est une fin de l’humain et surtout de son humilité quand à la dimension transgressive du déchiffrage du réel … Pourtant, c’est cet idéal, décrit ci-dessus, que je m’efforce de défendre, même si je n’y arrive pas à la cheville, et que je défendrais jusqu’à mon dernier souffle, au nom de la mémoire, de ces humains d’exception aujourd’hui en voie de disparition, je ne sais s’ils existent encore ….

 

 

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